Controverses autour du déclenchement à 39 semaines de grossesse

  • Caroline Guignot
  • Résumé d’article
L'accès à l'intégralité du contenu de ce site est reservé uniquement aux professionnels de santé disposant d'un compte. L'accès à l'intégralité du contenu de ce site est reservé uniquement aux professionnels de santé disposant d'un compte.

Le groupe de travail FRENCH-ARRIVE et le Groupe de Recherche en Obstétrique et Gynécologie viennent de publier une lettre à l’éditeur du Lancet [1]  visant non pas à répondre à la polémique internationale qui existe dans le milieu obstétrical, mais plutôt à celle qui s’est concrétisée en France par la publication d’un livre accusateur et d’un commentaire paru en décembre 2022 dans le même Lancet [2]. Cette controverse – faut-il systématiser l’accouchement au-delà de 39 semaines de grossesse ? – ravive les questions toujours sensibles qui touchent à la médicalisation de la grossesse et de l’accouchement, l’augmentation du recours au déclenchement, la parole des femmes dans ces processus et, plus largement, à l’éthique de la recherche clinique.


Août 2018. Le New England Journal of Medicine publie les données de l’étude américaine ARRIVE. Le postulat de l’étude était le suivant : entre 39 semaines et 0 jour de grossesse et 40 semaines et 6 jours, le déclenchement du travail est évité en raison de l'absence de preuves d'un bénéfice périnatal et de la crainte d'une fréquence plus élevée d'accouchements par césarienne par rapport à un travail spontané. Cependant, ces conclusions, issues d'études observationnelles semblent caduques car le réel comparateur valable dans cette situation sera la gestion expectative de l’accouchement ; qui englobe celles qui auront bien un travail spontané et celles qui devront in fine recourir à une césarienne ou être déclenchées. Sur la base de ce comparateur, les données observationnelles sont plus favorables. ARRIVE visait donc à comparer ces deux modalités via un essai clinique randomisé multicentrique : mené auprès de 6.106 femmes nullipares à faible risque, il a montré que le déclenchement du travail à 39 semaines est associé à une diminution non significative du paramètre composite associant décès périnatal et complications néonatales graves (risque relatif 0,80 [0,64-1,00]) et à une réduction du taux de césarienne (RR 0,84 [0,76-0,93]). Ces résultats ont conduit à une évolution des recommandations américaines sur le sujet. Et à un débat sur le plan international.

La France s’attelle à la question

Parce que le profil clinique des femmes, l’organisation des soins et les pratiques obstétricales diffèrent d’un pays à l’autre, les données recueillies à partir de cet essai américain ne peuvent être transposées telles quelles dans d’autres pays. La France a lancé l’essai FRENCH-ARRIVE en mai 2021, visant à en valider - ou non - les conclusions dans le contexte national : il devrait inclure 4.200 femmes et se terminer fin 2023. Son rationnel le précise : s’il souligne que le changement de pratique aux Etats-Unis a été décidé sur les résultats du critère secondaire d'une seule étude, ces résultats « sont très importants car la réduction du taux de césarienne est un objectif mondial et le déclenchement électif du travail ≥ 39 semaines semble être aujourd'hui le moyen le plus efficace d'y parvenir. »

C’est là qu’interviennent ses détracteurs. Parmi eux, Claudine Schalck et Raymonde Gagnon, deux sage-femmes et chercheuses en psychosociologie et psychologie, autrices du livre « Quand déclencher l'accouchement, c'est confisquer la maternité aux femmes ». En décembre 2022, un commentaire paru dans le Lancet leur donne un écho : "Science sans conscience n'est que ruine de l'âme", citent-elles en martelant que le déclenchement de l'accouchement sans raison médicalement justifiée peut être considéré comme une « violence obstétricale » et une pratique dans laquelle "les expériences, les émotions et la subjectivité des femmes enceintes ne sont pas prises en compte », ni les disparités entre les processus physiologiques et l’allaitement selon que l’accouchement est spontané ou déclenché. A travers l’idée de déclencher systématiquement les femmes à terme à faible risque, « l'utérus est considéré comme une machine utilisée pour produire et expulser un bébé dans un certain laps de temps, sous la supervision du personnel médical. »

Une étude, deux interprétations

Pour les autrices, qui ont également publié un billet sur Mediapart avec Gérard Da Silva, l’objectif de l’étude FRENCH-ARRIVE serait de systématiser le déclenchement. Mais les investigateurs de l’étude française s’en défendent : « FRENCH-ARRIVE est urgente car les pratiques ont déjà changé, les taux d'induction du travail ayant augmenté dans de nombreux pays depuis la publication en 2018 de l'étude ARRIVE. Contrairement aux accusations sans faits portées à notre encontre, nous sommes particulièrement préoccupés par la mise en œuvre d'une politique proposant le déclenchement systématique du travail pour les femmes nullipares à faible risque à 39 semaines de grossesse ou plus, notamment parce que nous avons montré que le déclenchement du travail pour des raisons médicales est un facteur de risque indépendant de troubles de stress post-traumatique 2 mois après l'accouchement par voie vaginale. »

Ethique de la recherche clinique

Plus largement, les deux sage-femmes remettent en question la validité du consentement des femmes qui d’une part n’auraient pas d’informations exhaustives sur les bénéfices et risques de l’approche et d’autre part n’oseraient pas remettre en question les interventions qui leur sont proposées par le corps médical. « Contrairement à ce que Schalck et Gagnon ont rapporté, notre essai comprend une évaluation de la satisfaction maternelle et respecte les normes et les lignes directrices de l'investigateur avec un protocole et des informations complètes et détaillées approuvés par le Comité pour la protection des personnes et l'Agence nationale française de sécurité sanitaire des médicaments et des produits de santé. »

Pour les autrices, cet essai le confirme : « le corps des femmes a été depuis longtemps infériorisé, contrôlé et traité en objet par l'institution médicale (...). » Pour les investigateurs de l’étude, l’accusation dont ils font l’objet « rapproche un débat scientifique et une réflexion éthique toujours bienvenus d'une idéologie et d'une invective stériles et dangereuses. » Dans quelques mois, les conclusions de FRENCH-ARRIVE devraient raviver ces débats, issus de points de vue irréconciliables. Car, rappellent Claudine Schalck et Raymonde Gagnon : « Il faut cesser de confondre les moyens avec la fin en soi, celle de l’humanité dans la naissance et celle des femmes. Tant le corps des femmes leur appartient. Tout comme le vécu et la réalisation la plus concrète du féminin, la maternité. »