Congrès de Rhumatologie SFR 2019 –Usage et mésusage des opiacés en rhumatologie

  • Caroline Guignot
  • Résumé d’article
L'accès à l'intégralité du contenu de ce site est reservé uniquement aux professionnels de santé disposant d'un compte. L'accès à l'intégralité du contenu de ce site est reservé uniquement aux professionnels de santé disposant d'un compte.

La médiatisation de la crise des opioïdes a fait naître de nombreuses inquiétudes concernant la prescription des opioïdes. Dans le cadre du congrès de la Société française de rhumatologie, une session a été organisée mardi 9 décembre afin d’aborder le bon usage et les risques des opioïdes en rhumatologie.

Place et recours des opioïdes en rhumatologie

Dans la polyarthrite rhumatoïde (PR) ou les spondyloarthrites, plusieurs études de cohorte menées dans divers pays ont montré que le recours ponctuel ou chronique aux opioïdes forts était élevé par rapport à une population sans PR.

Dans l’arthrose et la fibromyalgie, les données, méta-analyses et/ou recommandations ne se prononcent pas en faveur de l’usage des opioïdes. Dans la lombalgie, 3 méta-analyses ont conclu à une efficacité modérée. La douleur liée à certaines spondyloarthrites peut bénéficier d’un soulagement par opioïdes. Les données ne sont pas concluantes dans la PR.

La SFETD (Société française d’étude et de traitement de la douleur) a établi des recommandations pour l’usage des opioïdes dans le traitement des douleurs chroniques non cancéreuses : ils ont une efficacité modérée dans la lombalgie chronique et dans les douleurs neuropathiques. Ils ne peuvent être prescrits qu’en situation de prise en charge globale et d’une décision partagée avec le patient (objectifs partagés, présentation de la déprescription …) et uniquement après échec des autres paliers d’antalgiques non opioïdes. Concernant la prescription, aucun traitement ne doit durer plus de 3 mois en l’absence de bénéfice sur le soulagement, l’amélioration de la douleur et/ou l’amélioration de la qualité de vie. Typiquement, le lombalgique peut bénéficier d’une amélioration nette de la qualité de vie, sans que son évaluation de douleur soit changée. Dans tous les cas, il ne faut pas dépasser 150 mg/j d’équivalent morphine sans solliciter un avis spécialisé (consultation ou avis sur dossier auprès d’un centre de la douleur).

Mésusage et addiction

Les facteurs de risque de mésusage sont liés au jeune âge, au sexe masculin, à la présence d’une pathologie psychiatrique au moment de la prescription, aux antécédents de problèmes légaux ou de comportement chez les hommes, aux antécédents d’abus de substances, d’addiction à l’alcool, au tabagisme actif, à la consommation de produits illicites et à une dose prescrite d’opioïdes faibles supérieure à la dose recommandée. Ces facteurs de risque doivent être recherchés avant toute prescription. Pour cela, il est possible d’utiliser un outil comme l’ORT (Opioid risk tool) qui prend également en compte les antécédents personnels et familiaux d’abus de substances, la nature de celles-ci, les antécédents personnels de violences sexuelles pendant l’enfance...

Lors du suivi et du renouvellement, il faut rechercher les risques de mésusage grâce au POMI (prescription opioid misuse index) : le patient a des prescripteurs multiples, a des passages multiples aux urgences, refuse les analgésiques non morphiniques, l’augmentation des doses, les demandes de renouvellement ou des rendez-vous plus précoces que prévu… Hormis ces paramètres, cet outil pose la question du sentiment de bien-être ou d’euphorie après la prise du traitement. Ce simple item, qui vise à rechercher un bénéfice autre que le soulagement de la douleur, peut constituer un bon indicateur de risque de mésusage, en dehors du recours systématique au POMI. Selon les recommandations de la SFETD, il est recommandé d’orienter le patient vers un avis spécialisé (addictologue, centre de douleur, psychiatre) le cas échéant.

Pour limiter les risques, il est recommandé d’utiliser des formes à libération prolongée dans les douleurs chroniques non cancéreuses.

Que dire aux patients ?

L’intérêt des antalgiques opioïdes reste valide, malgré le battage médiatique. Ces traitements peuvent être prescrits en rhumatologie à condition de respecter les recommandations de la SFETD. Il ne faut donc pas les diaboliser car ils sont parfois les seuls envisageables après plusieurs lignes de traitement offrant un soulagement insuffisant.

L’éducation du patient est indispensable. Il doit savoir que leur efficacité sur la douleur chronique n’est pas systématique. Il doit connaître les effets secondaires dont le plus fréquent est la constipation. Il faut prendre en compte le risque de mésusage, qu’il faut lui expliciter. Un contrat moral passé avec le patient doit lui permettre de savoir que l’efficacité sera évaluée à chaque visite de suivi, pour que le renouvellement du traitement soit envisagé. Le renouvellement ne doit jamais devenir automatique. Il faut aussi évaluer la balance bénéfice-risque de ce traitement selon les objectifs posés avec le patient : soulagement, amélioration de la fonction, de la qualité de vie. À l’inverse, il faut rechercher les effets secondaires gênants non soulagés par un traitement symptomatique, les facteurs de risque de mésusage, les comportements déviants par rapport à la prescription d’opioïdes.

La HAS a récemment lancé un groupe de travail pour travailler sur le bon usage des antalgiques opioïdes et proposer des principes de prévention et de prise en charge du mésusages d’opioïdes forts.

Conférencière : Anne-Priscille Trouvin (Boulogne-Billancourt)