Comment un « pancréas artificiel » peut changer drastiquement la vie des très jeunes diabétiques de type 1

  • Miriam E. Tucker

  • Nathalie Barrès
  • Actualités Médicales par Medscape
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Grâce à un système d'administration semi-automatique d'insuline, le contrôle glycémique de jeunes enfants diabétiques de type 1 (âgés de 1 à 7 ans) a pu être amélioré sans majorer le risque d’hypoglycémies. Chez les enfants plus âgés et chez les adultes, les systèmes hybrides en boucle fermée, qui permettent d’optimiser le contrôle glycémique, ont été testés avec succès depuis les années 2010, en particulier en France.

Parce que l’utilisation des systèmes à boucle fermée peut constituer un véritable outil d’optimisation de la prise en charge des enfants les plus jeunes, l’équipe de chercheurs dirigée par la Dr Julia Ware (Wellcome Trust-Medical Research Council Institute of Metabolic Science et de l'Université de Cambridge, Royaume-Uni) a choisi de conduire une étude spécifique dans cette population particulière. Les résultats ont été publiés en ligne le 19 janvier dans le New England Journal of Medicine.

Ces dispositifs connus sous le nom de « pancréas artificiel » sont composés d'une pompe à insuline (généralement sous forme de patch collé sur le bras), d'un capteur de glycémie en continu et d'un logiciel permettant une communication qui « semi-automatise » l'administration d'insuline en fonction de la glycémie et de différents paramètres renseignés par le patient (repas, activité physique…).

« Les très jeunes enfants sont extrêmement vulnérables aux variations de leur glycémie. Une hyperglycémie peut en effet affecter le développement cérébral des plus jeunes. En outre, le diabète est une affection particulièrement difficile à gérer dans cette tranche d'âge. Il représente une charge pesante sur l’intégralité des familles d’enfants atteints », ont déclaré les auteurs dans un communiqué de l'université de Cambridge. « Chez les enfants diabétiques en bas âge, les besoins en insuline sont très variables selon les individus et leur sensibilité à l’insuline est particulièrement marquée. En outre, leurs habitudes alimentaires et leurs degrés d’activité physique sont assez imprévisibles ».

Si l’hyperglycémie peut être délétère à long terme, les risques liés aux hypoglycémies sont eux-aussi préoccupants, en particulier lorsqu’elles surviennent la nuit. Or, du fait de l’immaturité psychologique chez ces enfants en début de croissance, il est impossible de les éduquer aux signes annonciateurs des baisses de la glycémie et à la conduite à tenir en de tels cas. Les jeunes enfants diabétiques n'atteignent que rarement les objectifs glycémiques recommandés à moins qu’ils soient suivis de façon constante par des professionnels de santé. Outre la qualité de vie du petit diabétique, on peut même dire que c’est celle de l’ensemble de la famille qui est affectée par le suivi au quotidien de cette affection.

 

Un dispositif entièrement automatisé en dehors des heures de repas

L’essai multicentrique, randomisé, en cross over a été mené dans sept centres en Autriche, Allemagne, Luxembourg et au Royaume-Uni en 2019-2020. Il avait pour finalité de comparer la sécurité et l'efficacité d’un dispositif en boucle fermée avec un groupe contrôle (pompe et capteur sans interface). Les 74 enfants ont bénéficié du système hybride en boucle fermée CamAPS FX pendant 16 semaines, puis du dispositif témoin pendant un temps équivalent. L’âge moyen des enfants à l’inclusion était de 5,6 ans et leur taux d'A1c était de 7,3 % (56,6 mmol/mol).

Le système en boucle fermée était composé d'éléments disponibles dans le commerce en Europe : la pompe à insuline Sooil (Dana Diabecare RS) et le CGM Dexcom G6, ainsi qu'un Smartphone Samsung Galaxy 8 non verrouillé contenant une application (CamAPS FX, CamDiab) qui exécute l'algorithme de contrôle proposé par l’Université de Cambridge.

Le smartphone communique sans fil avec la pompe et le transmetteur CGM. Grâce à son programme intégré, il ajuste automatiquement l'administration d'insuline de la pompe en fonction de la glycémie en temps réel grâce aux informations du capteur.

Roman Hovorka, PhD, l’investigateur principal qui a développé l'application CamAPS FX, explique dans le communiqué de l'Université de Cambridge que l'application « fait des prédictions sur ce qu'elle pense être susceptible de se produire dans un proche avenir en fonction de l'expérience passée. Cette application prend en compte les besoins passés de l’enfant en insuline et les modifications nycthémérales habituelles. Elle utilise ensuite ces informations anciennes et présentes pour ajuster les dosages d'insuline afin d'atteindre des objectifs idéaux de glycémie. En dehors des repas, le dispositif est entièrement automatisé, de sorte que les parents n'ont plus besoin de surveiller en permanence la glycémie de leur enfant ».

La principale conclusion de l’étude est que le temps passé dans la plage de glycémie cible (70-180 mg/dL) pendant la période de 16 semaines en bouche fermée était supérieur de 8,7 % à celui de la période de contrôle (P < 0,001). Autrement dit, chaque jour passé sous boucle fermé permet  de gagner 125 minutes de glycémie optimale (différence significative). Au total, les enfants sous boucle fermée ont passé les trois quarts de leur journée (71,6 %) dans la zone de glycémie cible, soulignent les chercheurs.  En moyenne et après ajustement, les enfants sous boucle fermée passaient 8,5 % de temps en moins (par rapport au traitement contrôle) avec une glycémie supérieure à 180 mg/d, ce qui constitue également une différence significative (P < 0,001). Le temps passé en hypoglycémie (dessous de 70 mg/dL) ne différait pas significativement entre les deux interventions (P = 0,74).

« Corolaire de ce meilleur équilibre glycémique, l’HbA1c était abaissée en moyenne de 0,4 % chez les enfants pendant la période boucle fermée (en comparaison avec la période témoin). Si l’on prend en compte le fait que les enfants étaient relativement bien équilibrés à l’inclusion (HbA1c 7,3 %  soit 56,6 mmol/mol), la baisse de 3,9 mmol/mol est notable, et ce d’autant plus qu’il n’y a pas eu d’augmentation du temps passé en état d'hypoglycémie », expliquent Ware et ses collègues.

La durée d'utilisation médiane du capteur de glucose était de 99% du temps total pendant les périodes en circuit fermé et de 96% pendant les périodes de contrôle. Celle du système en boucle fermée était de 95%.

Ce résultat confirme l'utilité à long terme du système dans ce groupe d'âge tout comme chez des enfants plus âgés.

Un épisode unique d'hypoglycémie grave, attribué à une erreur de manipulation des parents plutôt qu'à un dysfonctionnement du système, a été signalé pendant la période en boucle fermée. Par ailleurs, aucune acidocétose diabétique n’a été déplorée. Les taux d’incidence des autres événements indésirables n'ont pas différé entre les deux périodes.

« CamAPS FX a permis d'améliorer plusieurs paramètres, notamment l'hyperglycémie et la glycémie moyenne, sans augmenter le risque d'hypoglycémies. Un avantage substantiel pour les jeunes utilisateurs » a résumé Julia Ware.

 

Un sommeil amélioré pour les enfants et leurs parents 

Pour les auteurs, passer moins de temps en hyperglycémie pourrait contribuer à minimiser le risque de dysfonctions neurocognitives qui peuvent survenir chez certains jeunes diabétiques de type 1. Ils soulignent aussi que la qualité du sommeil des enfants pourrait s’améliorer puisque les mesures de glycémie effectuées de nuit se situent majoritairement dans la zone cible (80 %) et que les hypoglycémies nocturnes sont rares (moins de 3 % des mesures inférieures à 70 mg/dL). Et il n’y a pas que les enfants qui pourraient bénéficier de cette amélioration de la qualité du sommeil, leurs parents aussi puisqu’ils sont moins inquiets des risques de dysglycémie nocturne. Les parents  plébiscitent l’utilisation de la boucle fermée : le dispositif  a « changé leur vie » car il leur a permis d’être moins stressés, de passer plus de temps à des activités « normales » telles que jouer avec leurs enfants. 

 

Cet article a été écrit par Miriam E. Tucker et initialement publié sur Medscape.com sous le titre 'Artificial Pancreas' Life-Changing in Kids With Type 1 Diabetes. Traduit par le Dr Isabelle Catala pour Medscape France.