Comment prévenir le suicide chez les médecins ? (Webinaire)

  • Thomas Detombe

  • Nathalie Barrès
  • Actualités Médicales de MediQuality
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Lors d'un webinaire organisé par Médecins en Difficulté, le conférencier et psychologue Yoan Cecco a cherché à y apporter des réponses : « Prendre soin de soi implique de reconnaître que l’on n’est pas infaillible. Si l’on ne parvient jamais à adopter la position de soignant, tôt ou tard, cela finira mal. »

Le risque de suicide est plus élevé chez les médecins qu'au sein de la population générale. Une méta-analyse américaine attribue aux médecins masculins un risque supérieur de 40% à la moyenne. Selon la même analyse, les femmes médecins sont 130% plus à risque. Le 26 avril, Médecins en Difficulté a organisé un webinaire intitulé ‘Peut-on prévenir le suicide des médecins ?'. Selon les informations transmises à cette occasion, le risque de suicide serait de deux à quatre fois plus élevé. La forte pression professionnelle, le manque d'attention pour sa propre santé, et la réticence à demander une aide professionnelle en cas de problèmes émotionnels ou psychologiques ne sont que quelques-unes des causes évoquées.

Le bien-être sous pression

« Prendre soin de soi et de ses collègues : pendant longtemps, notre code déontologique ne nous a jamais parlé de cela, » a déclaré le Professeur Christian Melot (ULB) dans son introduction. Christian Melot est vice-président de l'Ordre des Médecins de langue française. « Prendre soin de soi est cependant essentiel, » a-t-il poursuivi. « Cela découle des principes de solidarité et de collégialité. Les médecins qui (se) l'autorisent prennent également mieux soin de leurs patients. En 2018, l'article 10 de notre code déontologique a enfin formalisé l'importance d'être attentif à sa propre santé. C'était réellement nécessaire. Le bien-être des médecins et des médecins en formation est sous pression. »

Le Dr Victor Fonzé, vice-président de Médecins en Difficulté, a ajouté que son organisation Belge était prête à aider les médecins désemparés. « N'hésitez pas à nous contacter au 0800/23.460, par e-mail ou via notre formulaire de contact. Un médecin de confiance vous écoutera et évaluera vos propos et, si nécessaire, il vous orientera vers un coach, un psychologue ou un psychiatre. » Victor Fonzé a également rassuré : « Bien que nous coopérions avec l'Ordre des Médecins, nous n'échangeons jamais d'informations. Ce que les médecins nous disent est strictement couvert par le secret professionnel. »

Médecins en Difficulté apporte un soutien individuel mais l'organisation focalise aussi son action sur des mesures préventives et structurelles qui favorisent le bien-être des médecins. À cette fin, elle collabore entre autres avec l'INAMI et le SPF Santé publique. Le webinaire sur la prévention du suicide est l'un des quatre webinaires sur les problèmes psychosociaux qu'elle organise cette année. 

Il est toujours possible de s'en sortir

Le psychologue Yoan Cecco du Centre de Prévention du Suicide était l'invité principal du webinaire. Il a présenté quelques principes de base sur l'attention à sa propre santé et la détection précoce de problèmes. Il a immédiatement dissipé un malentendu : « Une personne qui envisage concrètement le suicide ne veut généralement pas mourir. Elle ne veut tout simplement pas continuer à vivre d'une certaine manière. Lorsque quelqu'un souffre psychologiquement et n'a nulle part où s'adresser, le suicide peut sembler la dernière solution à un moment donné. Les gens sont parfois complètement bloqués dans l'idée que le suicide est la seule option. Alors qu'il est toujours possible de s'en sortir. »

Une enquête menée en direct durant le webinaire a montré que 37,6% des médecins participants avaient déjà songé au suicide. Un chiffre élevé, que Y. Cecco nuance : « Les pensées suicidaires ne sont pas forcément des plans concrets. Pourtant, ce chiffre montre combien il est important de reconnaître les signaux d'alerte précoces. Car si la tension et les problèmes émotionnels persistent, les pensées peuvent se transformer en plans réels. »

L'isolement, un signal

Ces signaux d'alerte, Y. Cecco les décrit comme des ‘résidus d'espoir ou d'ambivalence'. « En tant que collègue, soyez attentif aux sentiments dépressifs, à la colère ou au découragement. L'isolement peut aussi être un signe avant-coureur. La personne n'est plus impliquée ou présente, elle ne montre aucun intérêt pour son travail ou celui des autres, se terre dans le silence et devient impassible. Enfin, certains comportements peuvent également indiquer un risque croissant de suicide : troubles de la concentration ou de l'attention, comportements à risque, changements brusques de comportement... Parfois, des collègues ironisent explicitement à propos du suicide avec des expressions telles que ‘tout ira mieux sans moi', ou annoncent un ‘long voyage'. Essayez d'être attentif à de tels signaux. Un seul signal n'est pas forcément problématique, mais une combinaison de plusieurs signaux l'est souvent. »

Savoir appréhender les signaux d'alerte est, selon Y. Cecco, une double responsabilité. « Osez remettre activement en question le collègue qui vous inquiète. Et de son côté, le médecin qui émet des signaux doit essayer d'enlever son masque. Ce n'est pas facile. La tradition veut que les médecins soient forts et infaillibles. Cette illusion conduit de nombreuses personnes à travailler jusqu'à l'épuisement, au détriment de leur vie familiale ou de leur propre santé. Parler de sa propre vulnérabilité est encore tabou. Pourtant, faire preuve de vulnérabilité ne fait pas de vous un mauvais soignant, au contraire. Ceux qui permettent de prendre soin (de soi) prennent également mieux soin de leurs patients."

Donner, encore et toujours

« Personne ne considère les médecins comme des êtres humains » a évoqué Y. Cecco dans un témoignage. « J'ai l'impression que je dois toujours donner et soigner, mais ce n'est jamais l'inverse. De plus, je ne sais pas si je pourrais accepter de l'aide. On nous apprend que c'est nous qui aidons. Tout le monde me considère comme un excellent médecin. C'est le cas mais en même temps, au fond de moi, je dépéris. ».

Y. Cecco a souligné qu'aucune situation n'était désespérée. Les médecins qui ont en tête des plans concrets de suicide ont cependant besoin que les autres s'en rendent compte. À partir d'un certain moment, on se trouve dans un entonnoir cognitif qui ne cesse de se rétrécir. Le suicide devient une obsession et y échapper semble de plus en plus difficile. « Celles et ceux qui viennent nous voir présentent souvent une liste impressionnante de tentatives pour résoudre un problème. Ils et elles sont convaincus d'avoir tout essayé et que rien ne peut les aider. Ce n'est jamais le cas. Si nous parvenons à sortir ensemble de ce tunnel, il y a toujours d'autres options. Mais pour cela, il faut accepter de l'aide. Prendre soin de soi, c'est reconnaître que l'on n'est pas infaillible. Si l'on ne parvient jamais à adopter la position de soignant, tôt ou tard, cela finira mal. »

Bien comprendre la vocation de médecin

Le Dr Didier Piquard a interviewé Y. Cecco durant le webinaire. Il a ajouté que de nombreux médecins continuent à travailler même lorsque les choses ne vont pas bien du tout. « Actuellement, la plupart des médecins n'ont pas de médecin généraliste. L'idée subsiste que leur mission curative est sacrée. À partir de là, ils refusent de demander eux-mêmes l'aide d'un professionnel et poursuivent leurs activités pendant bien trop longtemps. En un sens, on se sent totalement à la merci de sa position médicale et, pour beaucoup, de sa vocation. Cela amène à être aveugle et sourd aux signaux d'alerte. »

Selon Y. Cecco, il est crucial de bien comprendre le sens de sa vocation. « Les recherches montrent que 60% de la population des médecins savaient déjà vouloir devenir médecins avant l'âge de 15 ans. Pour certains d'entre eux, cette vocation précoce s'est avérée être une réponse à certains traumatismes ou autres problèmes dans l'enfance. Il faut regarder cette dynamique en face. Si l'on aide les autres pour se sauver soi-même, on ne pourra jamais en faire assez. »

Une responsabilité collective

Une enquête en live a mis en évidence que deux médecins sur trois avaient besoin de suffisamment d'intervisions ou autres moments de concertation. Ce besoin n'est actuellement pas satisfait. « C'est problématique, » a réagi Y. Cecco. Il a évoqué l'histoire d'un anesthésiste dont le collègue s'était suicidé, après quoi le service était repassé mécaniquement à l'ordre du jour. Pas de temps pour des adieux, pas d'espace pour parler de l'impact du drame. C'était choquant, a témoigné l'anesthésiste. Il ne pouvait plus regarder la médecine de la même manière.

Y. Cecco : « Prévenir le suicide des médecins est une responsabilité collective. Les médecins doivent créer de l'espace, mais il faut aussi leur donner l'occasion de parler de ce qui est difficile. Se rendre vulnérable n'est utile que si vos collègues, mais certainement aussi votre organisation, prennent la peine d'écouter. »

Plus d'infos ?

Médecins en Difficulté : https://www.medecinsendifficulte.be/

Lien vers le webinaire.

Cet article a été écrit par Thomas Detombe et initialement publié sur MediQuality, membre du groupe Univadis-Medscape.