Comment les psychédéliques affectent les fonctions cérébrales et la perception

  • Sheena Meredith
  • Actualités Médicales
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Une nouvelle étude d’imagerie avancée menée par des scientifiques du Centre de recherche sur les psychédéliques (Centre for Psychedelic Research) du Collège impérial de Londres (Imperial College London, ICL) a examiné ce qu’il se passe dans le cerveau des personnes qui prennent un composé psychédélique puissant, la N,N-Diméthyltryptamine (DMT), un agoniste des récepteurs de la sérotonine 2A (5-hydroxy-tryptamine 2A receptor, 5-HT2AR). Selon les chercheurs, bien que les psychédéliques aient suscité l’intérêt de la médecine, leurs effets sur le fonctionnement du cerveau humain ne sont compris que de manière imparfaite. 

Leur étude, publiée dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences, est la première à suivre de manière aussi détaillée l’activité cérébrale avant, pendant et après l’expérience de la DMT, et laisse entrevoir la manière dont les psychédéliques modifient l’expérience consciente et la perception de la réalité.

L’équipe chargée de l’étude a expliqué que la DMT est un psychédélique puissant naturellement présent dans certaines plantes et certains animaux. Elle est présente à l’état de traces dans le corps humain et constitue le principal composé psychoactif de l’ayahuasca, un breuvage psychédélique préparé à partir de lianes et de feuilles qui est utilisé lors de cérémonies en Amérique du Sud et en Amérique centrale. La DMT génère une expérience immersive de conscience altérée sans diminution de l’état d’éveil.

Des « visions mystiques » facilitées

Les effets de la DMT sont similaires à ceux du LSD, de la psilocybine et de la mescaline (3,4,5-triméthoxyphénéthylamine), un psychédélique naturel dérivé de diverses espèces de cactus. L’intérêt pour les drogues psychédéliques en tant que facilitateurs de « visions mystiques » s’est accentué en Occident par la publication du classique littéraire d’Aldous Huxley, « Les portes de la perception », en 1954. Dans ce livre, et plus tard dans son essai de 1956 « Le Ciel et l’Enfer », il décrit ses expériences après avoir pris 4 dixièmes de gramme de mescaline, en présence d’un chercheur, et la façon dont cela a transformé ses perceptions.

La nouvelle étude observationnelle a été menée auprès de 20 volontaires sains, dans le cadre d’une méthodologie intra-sujet contrôlée par placebo, qui ont fait l’objet d’un examen de neuro-imagerie multimodale (imagerie par résonance magnétique fonctionnelle avec électroencéphalographie [IRMf-EEG]), avant, pendant et après l’administration d’un bolus intraveineux de 20 mg de DMT et, séparément, d’un placebo. 

« Altération radicale de l’état de conscience »

À de telles doses, la DMT induit « un état immersif profond et une altération radicale de l’état de conscience », selon les chercheurs, et constitue donc un outil de recherche utile pour sonder les corrélats neuronaux de l’expérience consciente. « La DMT peut produire des altérations de l’état de conscience intenses et immersives, caractérisées par des visions vives et bizarres [et] le sentiment de "visiter" des réalités ou des dimensions alternatives », ont-ils déclaré.
À des doses suffisamment élevées, les descriptions de rencontres avec des « êtres » ou des « entités » sentients sont fréquentes. Les « trips » sous DMT ont des similitudes avec les expériences de mort imminente et l’état de rêve, tout en maintenant l’état d’éveil. 

« De telles expériences ontologiquement perturbantes se sont révélées corrélées à des changements ultérieurs concernant les croyances métaphysiques et la santé mentale », ont-ils déclaré, notant que les essais cliniques sur les thérapies psychédéliques pour le traitement d’une variété d’affections de santé mentale ont donné des résultats « constamment prometteurs en termes de sécurité d’emploi et d’efficacité ».

La façon dont le composé modifie précisément les fonctions cérébrales permettant d’expliquer ces effets n’est en revanche pas connue de manière claire.

L’autre caractéristique de la DMT qui la rend utile pour la recherche est que ses effets sont de courte durée. « Contrairement à d’autres psychédéliques classiques, tels que le LSD ou la psilocybine, les effets de la DMT sur le cerveau sont relativement brefs. Ils ne durent que quelques minutes et non des heures », affirment les auteurs.

Les examens d’imagerie du cerveau révèlent une connectivité accrue

Dans leur étude, la drogue a provoqué une expérience psychédélique d’une durée moyenne de 20 minutes, période pendant laquelle les volontaires ont évalué l’intensité subjective de leur expérience à intervalles réguliers sur une échelle de 1 à 10. Leurs résultats à l’IRMf ont révélé des modifications de l’activité à la fois à l’intérieur des régions cérébrales et entre elles. 

« Au cours de l’expérience immersive sous DMT, la connectivité cérébrale s’est accrue, avec une communication plus importante entre les différentes zones et les différents systèmes », ont indiqué les chercheurs. Sous l’influence de la DMT, les résultats de l’IRMf ont révélé de fortes augmentations de la connectivité fonctionnelle globale, une désintégration et une déségrégation du réseau cérébral ainsi qu’une compression du gradient cortical principal, des caractéristiques qui concordent avec des études antérieures portant sur d’autres psychédéliques. 

Les changements dans les principales propriétés neurophysiologiques mesurées par EEG étaient corrélés à des changements spécifiques de diverses mesures d’IRMf, ce qui, selon l’équipe, enrichit la compréhension de la base neuronale des effets de la DMT. « Les changements de l’activité cérébrale étaient plus marqués dans les zones liées aux fonctions spécifiquement humaines de "niveau plus élevé", telles que l’imagination. »

La visualisation la plus avancée de l’état psychédélique par la neuro-imagerie 

Le premier auteur, le Dr Chris Timmerman, du Centre de recherche sur les psychédéliques de l’ICL, a déclaré : « Ces travaux sont passionnants, car ils offrent à ce jour la visualisation la plus avancée permise par la neuro-imagerie humaine de l’état psychédélique.

« Un point de vue de plus en plus répandu est qu’une grande partie des fonctions cérébrales consiste à modéliser ou à prédire leur environnement. Les humains ont des cerveaux exceptionnellement grands et modélisent une part exceptionnellement importante du monde. Par exemple, comme dans le cas des illusions d’optique, lorsque nous regardons quelque chose, une partie de ce que nous voyons en réalité est le résultat du travail de notre cerveau qui remplit les vides sur la base de ce que nous savons déjà. 

« Ce que nous avons constaté avec la DMT, c’est que l’activité dans les zones et les systèmes cérébraux très évolués qui codent en particulier des modèles de haut niveau est fortement déréglée sous l’effet de la drogue, ce qui est lié à l’intensité du "trip" provoqué par la drogue. »

« Moins dangereux que le tabac et l’alcool »

L’équipe de l’étude comptait parmi ses membres l’ancien « tsar des drogues » du gouvernement, le professeur David Nutt, neuropsychopharmacologue, limogé de son poste en 2009 après avoir déclaré que le LSD, ainsi que le cannabis et l’ecstasy, étaient moins dangereux que le tabac et l’alcool. Les auteurs ont déclaré que si leur étude n’était pas la première à fournir des images du cerveau sous l’influence de psychédéliques, ni la première à montrer les signatures de l’activité cérébrale liée aux psychédéliques, elle était la première à combiner des techniques d’imagerie dans le but d’étudier le cerveau au cours d’une expérience psychédélique hautement immersive. L’étude « fournit des données probantes supplémentaires de la façon dont la DMT, et plus généralement les psychédéliques, exercent leurs effets en perturbant des systèmes cérébraux de haut niveau », ont-ils déclaré.

L’auteur principal, le professeur Robin Carhart-Harris, qui a fondé le Centre de recherche sur les psychédéliques, a déclaré : « Les présents travaux, qui sont motivés par nos recherches antérieures sur les psychédéliques et qui s’appuient sur elles, combinent deux méthodes complémentaires d’imagerie du cerveau. L’IRMf nous a permis de visualiser l’ensemble du cerveau, y compris ses structures les plus profondes, et l’EEG nous a permis de voir l’activité rythmique fine du cerveau.

« Nos résultats ont révélé que lorsqu’un volontaire était sous DMT, il y avait un dérèglement marqué de certains rythmes cérébraux qui seraient normalement dominants. Le cerveau a changé son mode de fonctionnement pour quelque chose de beaucoup plus anarchique. Suivre l’évolution de ces découvertes dans les années à venir va être fascinant. »

Il a ajouté : « Les psychédéliques s’avèrent être des outils scientifiques extrêmement puissants pour nous permettre de mieux comprendre comment l’activité cérébrale est liée à l’expérience consciente. »

Les chercheurs envisagent maintenant d’explorer la perfusion continue de DMT pour tenter de prolonger le pic de l’expérience psychédélique. D’autres études ont suggéré que les psychédéliques pourraient avoir des applications thérapeutiques pour l’alcoolisme, l’anxiété, la dépression, l’anorexie, l’addiction au tabac et à l’héroïne, et les douleurs neuropathiques.

La recherche a été financée par un don de Patrick Vernon, par l’intermédiaire de la Fondation Beckley (The Beckley Foundation). Les auteurs n’ont rapporté aucun conflit d’intérêts.