Chirurgie métabolique : Quand et à qui la proposer ? Avec quel suivi en ville ? [Interview d'expert]
- Agnès Lara
- Actualités Médicales
Le Dr Sandrine Boullu, du service d’endocrinologie, nutrition et maladies métaboliques de l’hôpital Nord à Marseille, fait le point avec Univadis sur cette approche thérapeutique du diabète qui a vu ses indications s’élargir récemment.
Univadis : Quelle est la différence entre chirurgie bariatrique et chirurgie métabolique ?
Sandrine Boullu : La chirurgie bariatrique s’adresse aux patients obèses et a pour objet la perte de poids. Cependant, plusieurs publications, dont l’étude SOS (Swedish obese subjects) 1 il y a une vingtaine d’années ont montré d’excellents résultats sur le diabète de type 2, allant parfois même jusqu’à une rémission complète chez certains patients. Ces résultats ont amené à faire évoluer le terme de « chirurgie bariatrique » en « chirurgie métabolique » dont l’objet vise prioritairement le traitement du diabète, plus que la réduction du poids. L’indication concernait jusqu’il y a peu les patients obèses de grades 2 et 3. Mais depuis sa réévaluation par la HAS en octobre 2022, la chirurgie métabolique s’adresse également à des obésités de grade 1. Ainsi, les patients ayant un IMC compris entre 30 et 35 kg/m2 peuvent maintenant bénéficier d’une chirurgie métabolique « lorsque les objectifs glycémiques individualisés ne sont pas atteints, malgré une prise en charge médicale, notamment diabétologique et nutritionnelle, incluant aussi une activité physique adaptée, bien conduite, selon les recommandations de bonne pratique actuelles, pendant au moins douze mois » 2. Et de nouvelles recommandations sont attendues d’ici la fin d’année, qui pourraient peut-être modifier cette restriction.
Univadis : Que peut-on attendre de la chirurgie métabolique ?
Sandrine Boullu : Chez les diabétiques de type 2 éligibles à ce type d’intervention, une amélioration rapide de la glycémie est généralement observée, avant même la perte de poids, pouvant aller d’une amélioration de l’HbA1c sous un traitement, maintenu mais souvent allégé, à la rémission, c’est-à-dire l’obtention d’une HbA1c<6% sans aucun traitement. Il existe des scores capables de prédire les chances de rémission du diabète 1 an et 5 ans après la chirurgie à partir de différents paramètres (âge, HbA1c avant chirurgie, insuline ou non, nombre de traitements antidiabétiques oraux, durée d’évolution du diabète), et qui constituent des aides à la décision.
Univadis : Cette approche chirurgicale du traitement du diabète s’adresse-t-elle à tous les patients quelle que soit la durée d’évolution de leur maladie ?
Sandrine Boullu : Oui, il est possible de proposer une chirurgie métabolique à des patients en stade avancé de la maladie. Mais plus le diabète est ancien, nécessitant de l’insuline et moins bien contrôlé, et plus les chances de rémission s’amenuisent. La perte de poids obtenue permet en général d’alléger le traitement, mais il n’est pas toujours possible d’arrêter l’insuline. À l’inverse, les patients qui ont un diabète récent, bien équilibré, ne nécessitant pas d’insuline et dont l’HbA1c n’est pas trop élevée, sont ceux qui ont les meilleures chances de rémission. Quoi qu’il en soit, la chirurgie métabolique fait maintenant partie intégrante de l’arsenal thérapeutique dans le diabète de type 2 et elle peut être proposée aux patients, même s’il n’y a pas de demande de perte pondérale de leur part.
Univadis : Existe-t-il des contre-indications ou des populations plus à risque ?
Sandrine Boullu : Une cardiopathie ischémique stentée récemment qui nécessite une double anti-agrégation plaquettaire pendant un an est une contre-indication temporaire, de même qu’une rétinopathie sévère ou non stabilisée susceptible de s’aggraver lors de l’amélioration post-chirurgicale rapide de la glycémie. Les autres contre-indications sont les mêmes que celles de la chirurgie bariatrique (pathologies psychiatriques sévères non stables, addictions…), et celles inhérentes à toute intervention chirurgicale (terrain cardiologique ou respiratoire jugé trop à risque par exemple).
Je voudrais par ailleurs attirer l’attention sur les femmes en âge de procréer ayant un antécédent de chirurgie bariatrique ou métabolique, car leurs grossesses sont considérées comme à risque. Le médecin généraliste doit les référer à un centre spécialisé pour un bilan endocrinologique et informer le gynécologue. Chez ces patientes, les bilans nutritionnels doivent être plus réguliers et le suivi échographique plus rapproché car un apport alimentaire maternel insuffisant ou de possibles carences exposent le fœtus à un retard de croissance et/ou des anomalies morphologiques.
Le médecin généraliste doit référer les femmes enceintes avec antécédent de chirurgie métabolique ou bariatrique à un centre spécialisé pour un bilan endocrinologique, et informer le gynécologue.
Univadis : Quel rôle le médecin généraliste a-t-il à jouer dans le suivi post-chirurgical de ces patients ?
Sandrine Boullu : Un suivi de l’équilibre glycémique est indispensable à vie car le diabète peut réapparaître, souvent en lien avec la reprise de poids. Il est assuré par l’équipe hospitalière tous les 3 mois la première année, puis tous les 6 mois la 2e, mais il y a beaucoup de perdus de vue par la suite, surtout chez les patients en rémission.
Par ailleurs, une supplémentation vitaminique est indispensable, à vie pour ceux qui ont eu un bypass gastrique (complément multivitaminique de base, et ajout de vitamine B12, de fer, de calcium, de vitamine D et autres en fonction de l’apport de base choisi). Et le patient doit être informé des complications potentiellement graves en cas de non-observance (neurologiques, hématologiques, osseuses, etc.). La contrainte est moins lourde en cas de sleeve gastrectomie. Dans ce cas, la supplémentation en vitamines doit être poursuivie au moins la première année, lorsque la perte de poids est très importante, puis en fonction des résultats de bilan.
Sur ces deux points, le médecin traitant a un rôle important à jouer. Tout d’abord pour inciter à poursuivre un suivi endocrinologique régulier (au moins une fois par an) à partir de la 2e année, et d’autre part pour contrôler/encourager l’observance à la supplémentation et proposer un bilan nutritionnel au moins une fois par an lorsque cela n’a pas été fait par ailleurs.
Le médecin doit aussi être attentif aux complications post-chirurgicales, rares mais possibles, et faire régulièrement le point sur les comorbidités : celles préexistantes mais aussi celles susceptibles de survenir à l’avenir, l’exposition à une hyperglycémie durant des années ayant forcément laissé des traces (fond d’œil, fonctions rénale et cardiovasculaire).
Enfin, le dialogue entre généraliste et spécialiste reste une composante centrale de la prise en charge de ces patients, tant pour discuter de la chirurgie métabolique à son état de projet, que pour assurer le meilleur suivi et favoriser l’observance par la suite.
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