Cas clinique : patient avec signes d’addiction sexuelle

  • Dr Guillaume Davido

  • Nathalie Barrès
  • Actualités Médicales par Medscape
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Quelle est la situation ?

 

Vous rencontrez en consultation d’addictologie un patient de 65 ans, ancien comptable retraité. Il est accompagné de sa femme qui vous explique que cela fait plus d’un an qu’il la trompe avec des prostituées et « escort girls ». Elle trouve qu’il n’est plus dans son état normal et qu’il est de plus en plus « irritable, anxieux, fatigué, perturbé ». Ils n’ont plus de rapports sexuels et ne passent que très peu de temps ensemble. Elle vous dit que cela est dû au fait que son mari passe ses journées, voire ses nuits, sur des sites pornographiques.

Lorsque vous demandez son avis au patient, il vous dit que sa vie est rythmée quotidiennement par des comportements sexuels. Pour lui, c’est devenu un « style de vie » et il a même commencé à fréquenter des maisons closes : « il m’en faut toujours plus », vous dit-il. Il vous informe que ses seuls antécédents médicaux sont un syndrome coronarien aigu et une maladie de Parkinson, mais ne se souvient pas des médicaments qu’il prend.

 

Quels éléments cliniques sont compatibles avec un diagnostic d’addiction (trouble de l’usage selon le DSM-5) ?

1.     Comportements sexuels répétés depuis 12 mois

2.     Des signes de sevrage

3.     Un phénomène de « tolérance »

4.     L’existence de conséquences négatives

5.     Une rupture brutale de l’état antérieur

 

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La rupture brutale de l’état antérieur n’est pas un critère de trouble de l’usage/d’addiction.

On doit se baser sur les critères DSM 5 du trouble de l’usage car il n’y a pas encore de critères pour « l’addiction sexuelle ». Les critères de l’hypersexualité sont classés dans « preuves insuffisantes ». [1] Selon Martin Kafka, la proposition de critères diagnostiques pour le trouble hypersexuel dans le DSM-5, est la suivante : [2]

Pour une période de plus de 6 mois, existence de fantasmes sexuels, pulsions sexuelles, ou comportements sexuels intenses et répétés associés à 3 ou plus des 5 critères suivants :

A1. Un temps excessif consacré aux fantasmes, pulsions sexuelles ou aux comportements au détriment d’autres buts, activités ou obligations non sexuels (planification et accomplissement des activités sexuelles).

A2. Se livrer de manière répétitive à des fantasmes, pulsions ou comportements sexuels en réponse à des états d'humeur dysphorique (ex. anxiété, dépression, ennui, irritabilité).

A3. Se livrer de manière répétitive à des fantasmes, pulsions ou comportements sexuels en réponse à des évènements stressants de la vie.

A4. Efforts répétés mais infructueux pour contrôler ou réduire de façon significative ces fantasmes, pulsions ou comportements sexuels.

A5. Se livrer de manière répétitive à une activité sexuelle en ne tenant pas compte du risque de préjudice physique ou affectif pour soi ou pour autrui.

B. Présence d'une détresse personnelle significative, ou d’une altération du fonctionnement social, occupationnel ou dans d’autres domaines importants, associée à la fréquence et à l’intensité de ces fantasmes, pulsions ou comportements sexuels.

C. Ces fantasmes, pulsions ou comportements sexuels ne sont pas dus aux effets physiologiques directs d'une substance exogène (ex. abus de drogue ou une médication).

En spécifiant si : masturbation ; pornographie ; comportements sexuels avec adultes consentants ; cybersexe ; téléphone ; club de striptease ; clubs ; autres…

Néanmoins, les critères généraux de l’addiction du DSM-5 restent actuellement la référence pour diagnostiquer une addiction.

 

Vous suspectez donc le diagnostic d’addiction sexuelle. Quels autres éléments cliniques vous attendez-vous à retrouver chez ce patient ?

  1. Des pensées obsédantes autour du sexe
  2. Des conduites sexuelles déviantes
  3. Une perte de temps importante
  4. Un sentiment de honte et culpabilité après un comportement sexuel
  5. Une perte de contrôle

 

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Concernant les conduites sexuelles déviantes, elles font références à un autre trouble, le trouble paraphilique définit dans le DSM-5. [2] Dans les addictions sexuelles, les comportements sexuels sont considérés comme « conventionnels » même s’ils sont répétitifs, excessifs ou désinhibés. Il n’y pas forcément de conduite sexuelle déviante.

Vous revoyez le patient un peu plus tard avec son ordonnance : vous retrouvez une prescription de lévodopa et d’aspirine.

 

Cette information (prescription de lévodopa et AAS) pourrait-elle remettre en cause votre diagnostic initial ?

  1. Oui, l’aspirine est pourvoyeuse de désinhibition comportementale. 
  2. Oui, la lévodopa est pourvoyeuse de désinhibition comportementale.
  3. Oui, l’association particulière lévodopa et aspirine nécessite une surveillance car pourvoyeuse d’une désinhibition comportementale.
  4. Non, la prise de médicament ne remet pas en cause le diagnostic d’une addiction.
  5. Il manque des antécédents pour trancher.

 

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La lévodopa est en effet un médicament pourvoyeur de désinhibition comportementale. [3]

 

Quels autres diagnostics différentiels de l’addiction sexuelle recherchez-vous ?

  1. Trouble bipolaire
  2. Des lésions des lobes temporal et/ou frontal
  3. Une hypoandrogénie
  4. Syndrome de Klüver-Bucy
  5. Syndrome de Kleine-Levin

 

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L’addiction sexuelle est plutôt en lien avec une hyperandrogénie, et non pas une hypoandrogénie. [4]

Le trouble bipolaire peut entraîner une désinhibition comportementale en phase maniaque. [5]

Une démence fronto-temporale peut aussi entraîner une hypersexualité. [6]

Les syndromes de Klüver-Bucy et de Kleine-Levin sont des maladies neurologiques qui peuvent provoquer, entre-autre, une hypersexualité. [7,8]

D’autres troubles peuvent provoquer une hypersexualité dont notamment la syphilis tertiaire, les causes toxicologiques (p. ex. lors de la désinhibition comportementale en phase aiguë de la prise de cocaïne) et une affection cérébro-médullaire (tumeur, sclérose en plaque, anoxie cérébrale, traumatisme crânien, épilepsie temporale). [9]

 

Quelle prise en charge globale proposez-vous au patient ?

  1. Pas de modification de son traitement antiparkinsonien
  2. L’introduction d’un traitement antidépresseur se discute, bien que nous recommandée
  3. L’introduction d’acétate de cyprotérone (castration chimique)
  4. Thérapie cognitivo-comportementale
  5. Un bilan sérologique des infection sexuellement transmissibles (IST)

 

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La Haute Autorité de Santé (HAS) recommande une diminution des agonistes dopaminergiques et d’en discuter avec le prescripteur si apparition de troubles compulsifs à type d’achat compulsif ou d’hypersexualité. [3]

La prescription d’antidépresseur peut être utile, hors AMM, pour diminuer la libido des patients addicts sexuels, qui est un effet secondaire courant des inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (ISRS) et des inhibiteur de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (IRSNa) en particulier. En revanche, l’acétate de cyprotérone est réservé aux troubles paraphiliques uniquement. [10] Aucun traitement médicamenteux n’a l’AMM pour les addictions comportementales quelles qu’elles soient.

Bien que l’addiction sexuelle ne soit pas une entité reconnue, la thérapie cognitivo-comportementale (TCC) fait partie du traitement qui serait le plus efficace. Les principaux objectifs sont d’identifier et de réduire les comportements sexuels considérés comme excessifs et problématiques, c’est-à-dire ayant des conséquences négatives pour le patient et son entourage (p. ex. détresse psychologique, dégradation des relations socio-professionnelles, familiales, amicales etc…). Un premier essai contrôlé randomisé datant de 2019 a montré une diminution significative des symptômes d’hypersexualité selon la Hypersexuel Disorder Current Assessment Scale dans le groupe TCC (différence significative de 4 points par rapport au groupe témoin). [11]

Enfin, devant toute conduite sexuelle à risque, un bilan sérologique doit être fait afin de rechercher au moins la syphilis, le VIH, le VHB et le VHC (comme pour le trouble bipolaire et autres troubles pouvant entraîner des épisodes d’hypersexualité).

Ce cas clinique a été écrit par Dr Guillaume Davido, infectiologue à l’Hôpital Raymond-Poincaré, Garches et a été initialement publié sur Medscape.