Cas clinique : addiction aux jeux-vidéo et hyperactivité

  • Nathalie Barrès
  • Actualités Médicales
L'accès à l'intégralité du contenu de ce site est reservé uniquement aux professionnels de santé disposant d'un compte. L'accès à l'intégralité du contenu de ce site est reservé uniquement aux professionnels de santé disposant d'un compte.

Quelle est la situation ?

Vous recevez en consultation un patient de 16 ans accompagné de sa mère. Celle-ci vous explique qu’elle a eu du mal à faire venir son fils au rendez-vous car il ne sort quasiment plus de chez lui, s’isole de plus en plus et passe la majeure partie de son temps à jouer aux jeux vidéo. Selon elle, il n’arrive plus à garder une autre activité, et il est facilement distrait et parfois sèche les cours ou arrive en retard. Elle est d’autant plus inquiète qu’il est en seconde générale, et qu’elle trouve qu’il a de plus en plus de difficultés en cours depuis le début de l’année. En effet, au dernier conseil de classe de l’année, les professeurs étaient inquiets car « c’est la dégringolade au niveau des notes ». Dans le dernier bulletin scolaire, il est récurrent de trouver que l’adolescent « est tête en l’air et rêveur », « qu’il ne termine pas les devoirs en temps et en heure », et qu’il « perturbe la classe en prenant la parole alors qu’on ne lui a pas donnée ».

Sa mère le décrit comme un enfant qui a toujours été apprécié de ses camarades car « mettant l’ambiance en cours », il faisait rire les autres. Cela lui a même valu des blâmes et des remarques sur ses bulletins en primaire car « il parle trop », mais jamais au point que sa famille s’en inquiète jusqu’à consulter un spécialiste.

 

D’après les éléments sémiologiques retrouvés dans l’énoncé, quel diagnostic psychiatrique suspectez-vous principalement ?

  1. Un épisode dépressif caractérisé
  2. Un trouble psychotique
  3. Un trouble anxieux généralisé
  4. Un trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH)
  5. Un trouble de la personnalité borderline

 

 

Bonne réponse : 4

Commentaires

On retrouve ici au moins 6 critères de l’inattention du DSM-5 :

  • ne prête pas attention aux détails ou fait des fautes d'étourderie lors d'activités scolaires ou autres.
  • ne semble pas écouter quand on lui parle directement.
  • ne suit pas les instructions ou ne finit pas ses tâches.
  • évite,n'aime pas ou est réticent à s'engager dans des tâches qui nécessitent un effort mental soutenu sur une longue période.
  • a du mal à organiser les tâches et activités.
  • est facilement distrait.
  • est distrait dans les activités quotidiennes.

Et même quelques signes d’hyperactivité :

  • souvent parle trop.
  • répond souvent trop vite aux questions, sans même en attendre la fin.
  • souvent interrompt ou fait intrusion auprès des autres.

Les critères de diagnostic du déficit de l'attention/hyperactivité d'après le DSM-5 comprennent 9 symptômes et signes d'inattention, et 9 symptômes d'hyperactivité et d'impulsivité. Le diagnostic à l'aide de ces critères exige la présence de ≥6 symptômes et signes d'au moins un ou de chaque groupe. En outre, les symptômes doivent :

  • être présents pendant ≥6 mois.
  • être plus prononcés que ceux attendus compte tenu du niveau de développement de l'enfant.
  • survenir dans au moins 2 situations (p. ex., à la maison et à l'école).
  • être présents avant 12 ans (au moins quelques symptômes).
  • perturber le fonctionnement à la maison, à l'école ou au travail.
  • le diagnostic du type avec prédominance d'inattention nécessite ≥6 symptômes d'inattention.
  • le diagnostic du type hyperactif/impulsif nécessite ≥6 symptômes d'hyperactivité et d'impulsivité.
  • le diagnostic du type mixte nécessite ≥6 symptômes d'inattention et d'hyperactivité-impulsivité.

Symptômes de l'inattention :

  • ne prête pas attention aux détails ou fait des fautes d'étourderie lors d'activités scolaires ou autres.
  • a des difficultés à soutenir son attention à l'école ou lors du jeu.
  • ne semble pas écouter quand on lui parle directement.
  • ne suit pas les instructions ou ne finit pas ses tâches.
  • a du mal à organiser les tâches et activités.
  • évite, n'aime pas ou est réticent à s'engager dans des tâches qui nécessitent un effort mental soutenu sur une longue période.
  • perd souvent les choses nécessaires aux tâches ou activités scolaires.
  • est facilement distrait.
  • est distrait dans les activités quotidiennes.

Symptômes d'hyperactivité et d'impulsivité :

  • remue souvent les mains ou les pieds ou se tortille.
  • quitte souvent son siège en classe ou ailleurs.
  • souvent court de tous les côtés ou grimpe partout alors que ces activités sont inappropriées.
  • a des difficultés à jouer tranquillement.
  • souvent en train de courir, agissant comme s'il était mu par un moteur.
  • souvent parle trop.
  • répond souvent trop vite aux questions, sans même en attendre la fin.
  • souvent a des difficultés à attendre son tour.
  • souvent interrompt ou fait intrusion auprès des autres.

Le jeune patient vous confie qu’il a perdu confiance en lui, car il a l’impression de ne pas être efficace lors du travail à la maison et accumule les mauvais résultats. Il a de plus en plus honte de lui et cet échec fait qu’il a tendance à fuir de plus en plus ses camarades. La dernière fois qu’il était avec ses copains, il lui a été proposé de faire un jeu de société mais il en avait « marre » au bout de 10 minutes, et il vous dit avoir senti « être à l’écart du groupe ». Il côtoie de moins en moins ses amis car il a peur d’être ridicule et pas à la hauteur, et redoute de les confronter à nouveau.

 

D’après les nouveaux éléments sémiologiques rapportés par le patient et en faisant abstraction de son jeune âge, quel diagnostic comorbide du trouble diagnostiqué précédemment suspectez-vous ?

  1. Trouble de la personnalité histrionique
  2. Trouble de la personnalité dépendante
  3. Trouble de la personnalité antisociale
  4. Trouble de la personnalité évitante
  5. Trouble de la personnalité schizotypique

 

 

Bonne réponse : 4

Commentaires

Pour diagnostiquer un trouble de la personnalité évitante selon le DSM-5, le patient doit avoir un tableau constant associant l'évitement des contacts sociaux, le sentiment de ne pas être à sa place et une hypersensibilité à la critique et au rejet.

Ce modèle correspond à la présence de ≥4 des éléments suivants :

  • Le refus des activités liées à leur emploi qui impliquent un contact interpersonnel car ils craignent d'être critiqués ou rejetés ou qu'on les désapprouve.
  • La réticence à s'impliquer avec les autres, à moins d'avoir la certitude qu'ils seront appréciés 
  • La réserve dans les relations étroites parce qu'ils craignent le ridicule ou l'humiliation
  • L'inquiétude d'être critiqués ou rejetés dans les situations sociales
  • L'inhibition dans de nouvelles situations sociales parce qu'ils se sentent inadéquats
  • Une vue d'eux-mêmes comme socialement incompétents, sans attrait ou inférieurs aux autres
  • La réticence à prendre des risques personnels ou à participer à toute nouvelle activité car cela peut mettre le sujet mal à l'aise

En outre, les symptômes doivent avoir débuté au début de l'âge adulte (en général 18 ans).

 

Consultation de suivi

Vous voyez le patient seul dans un second temps. Il vous explique qu’il est passionné de jeux vidéo depuis son enfance et que cela lui permet de se canaliser, mais que ses parents font tout pour l’en empêcher ces derniers temps et le climat familial est tendu (il ne va pas se coucher quand ses parents le lui demandent, ou ne vient pas dîner avec eux lorsqu’il a une partie en cours). En plus, il a rencontré des amis en ligne, qui eux le comprennent.

Quand vous l’interrogez sur ses habitudes de jeux, il vous dit jouer tous les jours à des jeux en ligne compétitifs de type MOBA [jeu d’équipe en ligne] comme League of Legends et Rocket League sur son PC. Bien que ces jeux soient gratuits, il vous dit que ses parents sont d’autant plus furieux car il aurait déboursé 100 euros pour des achats en jeu de type loot box. Il a essayé de faire des efforts et de moins jouer pour améliorer sa situation familiale et scolaire, mais c’est plus fort que lui, il n’arrive pas à diminuer (il a peur de rater des événements de jeu) et c’est la seule chose qu’il arrive à faire en ce moment.

 

Parmi les propositions suivantes, lesquelles sont exactes ?
(Plusieurs réponses possibles)

  1. Le patient souffre d’une addiction aux jeux-vidéo
  2. L’addiction aux jeux-vidéo n’existe pas dans les classifications internationales
  3. L’addiction aux jeux-vidéo peut être secondaire du trouble initial
  4. Comme Maxime joue exclusivement en ligne, alors le diagnostic d’addiction aux jeux-vidéo est écarté
  5. L’addiction aux jeux-vidéo peut développer une dépendance secondaire aux jeux d’hasard et d’argent

 

 

Bonnes réponses : 1, 3, 5

Commentaires 

L’addiction aux jeux vidéo est reconnue par la Classification Internationale des Maladies, 11è Edition, de l’OMS (2019 aux USA, février 2022 en France). Les critères sont les suivants :

Le jeu pathologique se caractérise par une tendance comportementale aux jeux, persistante ou récurrente, (jeux numériques ou jeux vidéo), en ligne (c'est-à-dire sur Internet) ou hors ligne, et qui se manifeste par :

1. un contrôle altéré sur les jeux (p.ex., apparition, fréquence, intensité, durée, fin, contexte)

2. une priorité croissante donnée aux jeux au point que ceux-ci dominent les autres aspects de la vie et les activités quotidiennes du sujet ; et

3. une poursuite ou escalade de la pratique de jeux malgré l’occurrence de conséquences négatives.

La tendance comportementale au jeu peut être continue ou épisodique et récurrente. Elle entraine une altération importante de la vie personnelle, familiale, sociale, scolaire, professionnelle ou d’autres domaines importants de fonctionnement.

Le comportement de jeux et les autres caractéristiques doivent être généralement manifestes sur une période d'au moins 12 mois pour qu'un diagnostic puisse être posé, même si cette durée peut être plus courte lorsque tous les critères de diagnostic sont réunis et si les symptômes sont sévères.

Le diagnostic peut-être comorbide du TDAH, il y aurait même un lien bidirectionnel (l’un entretien l’autre). En général, les adolescents arrivent à garder leur attention sur ce genre de jeux car non seulement les sessions de jeu sont courtes, mais la concentration est plus simple à maintenir grâce aux pics dopaminergiques qu’elles procurent, mimant les traitements habituels de type méthylphénidate du TDAH.

Le diagnostic peut-être aussi comorbide d’autres addictions dont particulièrement celle des jeux d’hasard et d’argent à cause de loot boxesdans certains jeux (tirage aux sorts de récompenses moyennant de l’argent).

 

Quelle prise en charge globale proposez-vous à ce patient ?
(Plusieurs réponses possibles)

  1. Une thérapie cognitivo-comportementale (TCC)
  2. Des règles simples (comme être au 1er rang, avoir ses fournitures scolaires de rechange…) sont recommandées
  3. Une thérapie familiale
  4. Un traitement psychostimulant type méthylphénidate pourrait être indiqué
  5. Un traitement antipsychotique pourrait être indiqué

 

 

Bonnes réponses : 1, 2, 3, 4

Commentaires

La TCC fait partie des traitements de référence des addictions en règle générale, et du TDAH (recommandations de la HAS). Elle est d’autant plus recommandée que ce patient a les deux troubles.

Cela est aussi valable pour les thérapies familiales, d’autant plus que le patient est un adolescent (et qui, selon la littérature, répondrait moins bien aux thérapies individuelles).

Selon la HAS, le traitement médicamenteux de référence du TDAH reste le méthylphénidate (et non les antipsychotiques). Dans l’idéal, il est à prescrire en 2e intention en cas d'échec des autres thérapeutiques. Les règles simples de réorganisation du quotidien du jeune peuvent suffire (privilégier une place au 1er rang à côté du professeur, toujours avoir des fournitures de rechange sur soi, accrocher l’emploi du temps à côté de ses principaux lieux de vie, mettre en place un système de récompense de type « bon point »… )

Il n’y a pas de traitement médicamenteux pour l’addiction aux jeux-vidéos.

 

Ce cas clinique a été écrit par le Dr Guillaume Davido et initialement publié sur Medscape.