Cancer : le savoir des patients et des soignants au service de la qualité de vie des malades
- Jean-Bernard Gervais
- Nathalie Barrès
- Actualités Médicales par Medscape
Comment s'assurer que les informations que s'échangent les patients à propos de leurs cancers, sur les réseaux sociaux, ne sont pas dangereuses pour la prise en charge de leur pathologie ? Une accompagnatrice en santé à l'Institut Curie, Quitterie Lanta, aidée du Dr Fabien Reyal, chef de service de chirurgie sénologique, gynécologique et reconstructrice (Institut Curie), a lancé ce 4 février l'application Komunity.care[1], une plateforme communautaire indépendante, à destination des patients, qui offrent des réponses personnalisées et vérifiées, « à toutes les questions sur le cancer, grâce aux expériences cumulées de celles et ceux qui ont déjà vécu la maladie ». Quitterie Lanta nous en dit plus sur son projet innovant.
Medscape : Pourquoi avoir décidé de lancer Komunity.care ?
Quitterie Lanta : ma mère et deux de mes soeurs ont été touchées par le cancer, j'étais personnellement sensibilisée à la question. Par ailleurs, je suis actuellement accompagnatrice en santé pour l'institut Curie depuis six ans. Mon métier consiste à répondre à toutes les questions qui ne sont pas médicales, mais qui rentrent dans le périmètre de la pathologie. Je me suis rendu compte que même dans un centre de référence comme l'institut Curie, il n'y avait pas de centralisation de l'information autour des problématiques que je traite au quotidien : de l'alimentation, à l'annonce de la maladie aux proches, en passant par les cures thermales, etc. Les seuls à pouvoir m'éclairer étaient les patients eux-mêmes. Mais ce savoir des patients n'était collecté nulle part, sinon sur les réseaux sociaux.
En termes de sources d'information sur le cancer, vous vous situez à mi-chemin entre les sites spécialisés et les réseaux sociaux ?
Quitterie Lanta : Oui c'est cela. J'essaie de digitaliser mon métier. Je connais les sources fiables, comme la ligue contre le cancer, ou l'Inca... Mais lorsque l'on est nouvellement malade, on ne connait pas forcément toutes ces institutions. En revanche, les patients iront plus facilement piocher des informations dans des groupes Facebook, où l'on peut trouver le meilleur tout comme le pire, sans que l'on puisse aider les patients à faire un tri.
Qu'apportez-vous de plus vis-à-vis de sites d'informations médicales qui comportent également des forums de discussion ?
Quitterie Lanta : Ces sites d'informations sont très souvent généralistes et n'apportent pas de réponses aux questions pratiques précises que se posent une personne atteinte de cancer. Ce genre de site ne va pas traiter de questions telles que : peut-on encore manger du tofu quand on a un cancer hormone-dépendant ? Nous, oui. Cette précision est nécessaire.
Comment fonctionnez-vous exactement ?
Quitterie Lanta : Je me suis associée avec le Pr Reyal qui a créé entre autres le réseau Sentinelles, une plateforme qui met en relations patients, citoyens, et chercheurs. De par son expérience avec Sentinelles, le Pr Reyal était déjà dans une démarche à la fois digitale et de mise en relation du monde médical avec celui des patients.
Il a d'autant plus adhéré au projet qu'il s'est rendu compte que le temps de consultation était entièrement consacré à des questions médicales, et qu'il ne pouvait aborder ces questions pourtant cruciales de Care, auxquelles, d'ailleurs, il n'avait peut-être pas de réponses à fournir aux patients.
Komunity permet donc de recentrer la consultation médicale sur des questions médicales, et donne la possibilité aux associations de répondre à des questions autour du Care, que se posent les patients. Nous travaillons avec un groupe d'experts qui nous aide à arbitrer les témoignages et les solutions que nous proposent les patients. Ce groupe est pluridisciplinaire et comprend une pharmacienne, un psychiatre, des psychologues, des patients, des gens issus d'associations, des infirmières, etc. Lorsque je rencontre un problème de modération, je fais circuler l'information auprès de notre comité d'experts, pour avoir la modération la plus juste.
Ce sont des bénévoles ? Avez-vous des salariés ?
Quitterie Lanta : Nous n'avons pas de salariés pour le moment. Nous avons pu sortir la première version de notre application grâce à une subvention de Malakoff Humanis. Nous n'avons pas non plus de modèle économique, nous répondons à un besoin, nous récoltons les données de la vraie vie de nos patients...
Exemple, on nous a rapporté au sein de Komunity.care un traitement qui s'appelle le DIM que nous ne connaissions pas. Il est composé de plantes et est censé remplacer l'hormonothérapie. Il ne se commande que sur Internet, parait beaucoup plus naturel, plus sain... Aucun oncologue, lorsqu'on leur pose la question, ne sait ce qu'est le DIM, aucune de leurs patientes ne leur en parle...
C'est intéressant d'avoir accès à ce type d'informations, car nous allons ensuite pouvoir faire un article pour dire : attention, ce traitement n'est pas de l'hormonothérapie, ce n'est pas recommandé et cela peut être dangereux. Cela peut d’ailleurs fausser les résultats des traitements médicaux en ce qui concerne les effets secondaires, ou les récidives.
Sur votre application, on peut acheter des produits et services. Faites-vous de la promotion ?
Quitterie Lanta : Non, notre positionnement est particulier, nous sommes persuadés qu'il faut donner de l'information aux patients sur les produits et services à sa disposition. Les accompagnatrices en santé (nous sommes 37 en France), rencontrent toutes le même problème : l'hôpital, pour des raisons d'équité, nous obligent à délivrer trois adresses pour une prestation de services, quand bien même nous savons que ces professionnels ne sont pas tous aussi bons les uns que les autres. Je vous donne un exemple : pour les perruques nous donnons trois adresses et la majorité des patientes vont principalement vers celui qui est situé le plus proche de l'hôpital, mais dont on a les moins bons retours. Mais nous sommes dans l'obligation de signaler ce professionnel à nos patients. Sur Komunity.care, nous pouvons coter les professionnels en fonction du nombre de satisfaction des patients. Nous voulons pouvoir coter les produits en fonction de la qualité de vie des patients.
Quand avez-vous lancé le service ?
Quitterie Lanta : L’application est disponible sur Apple Store. Nous l'avons officiellement lancé le 4 février, mais nous avons ouvert l'application en septembre en version test. Nous sommes en train de développer l'application sur Androïd qui devrait être disponible dans deux mois au plus tard.
Avez quantifié le nombre d'utilisateurs du service actuellement ?
Quitterie Lanta : Nous avons 200 utilisateurs depuis le 4 février.
Avez-vous une idée de ce que sera votre business model ?
Quitterie Lanta : Je pense que l'on va produire des études, notamment sur le thème : « un médicament dans la vie réelle ». Cela pourrait être un modèle tourné vers l'industrie pharma, pour qu'ils sachent comment est vécu leur traitement par les patientes, ou pourquoi pas vers les laboratoires de cosmétologie, pour qu'ils sachent comment leur produit est utilisé et apprécié ou non. Nous n'avons rien de très défini, mais nous voulons absolument que cela reste gratuit pour les établissements de soins et pour les patients.
Cet article a été écrit par Jean-Bernard Gervais et initialement publié sur Medscape.
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