ASCO 2022 : des études qui devraient faire évoluer les pratiques
- Aude Lecrubier
- Nathalie Barrès
- Actualités Congrès
Cette année, le congrès annuel de l’American Society of Clinical Oncology (ASCO) va se dérouler en virtuel mais aussi en présentiel, au grand plaisir des oncologues, après deux ans de distanciel.
Au programme, « une actualité riche sur le plan des communications scientifiques en plénières. Des études transformantes, qui changent à la fois les concepts et qui installent de nouveaux standards dans certains cancers. Mais aussi, des études qui assoient la place de certaines thérapeutiques, comme l’immunothérapie dans le cancer bronchique ou le mélanome, avec des études de suivi sur le long terme. Et enfin, l’arrivée de thérapeutiques dirigées contre des cibles nouvelles ou mieux décryptées », a commenté le Pr Jean-Yves Blay, oncologue médical, Directeur général du centre Léon-Bérard à Lyon, Président d’Unicancer, en direct de Chicago lors d’une téléconférence de presse Unicancer.
Des études transformantes
Dans une pré-sélection, qui ne se veut pas exhaustive, le Pr Blay a choisi de commenter quelques études des sessions plénières.
Selon le Pr Blay, un des late breaking trials « vraiment important » est l’essai de phase 3 PARADIGM qui a comparé du panitumumab (PAN) plus mFOLFOX6 versus bevacizumab (BEV) plus mFOLFOX6 en première ligne de traitement chez des patients atteints d’un cancer colorectal métastatique RAS non muté[1]. « Les résultats qui seront présentés devraient permettre d’établir les standards thérapeutiques pour cette situation assez fréquente, changer les paradigmes », indique le Pr Blay.
La deuxième étude de phase 3 « encore plus transformante » est l’étude randomisée DESTINY-Breast04[2] qui évalue le trastuzumab deruxtecan (T-DXd) versus un traitement conventionnel au choix du médecin chez les patientes avec un cancer du sein métastatique/non résécable avec de faibles niveaux de HER2.
« Ce traitement est habituellement indiqué pour les cancers du sein avec amplification de HER2. Mais ici, le choix du traitement n’est pas fondé sur l’anomalie moléculaire qui induit la surexpression, mais sur la simple expression de la protéine HER2. C’est un changement conceptuel tout à fait considérable puisque cette molécule devient potentiellement indiquée dans les cancers du sein qui jusqu’à présent n’étaient pas candidats à cette classe de médicament », indique le président d’Unicancer, qui ajoute : « Il semble que la différence observée en faveur de cette combinaison thérapeutique en survie sans progression, le soit aussi en survie globale. Cela va bouleverser les recommandations de pratique clinique et changer notre manière de développer les traitements néoplasiques de manière profonde ».
La troisième étude que l’oncologue a souhaité mettre en exergue est l’étude de phase 3 rEECur dans le sarcome d’Ewing qui a évalué le topotecan plus cyclophosphamide et ifosfamide à forte dose[3].
« C’est la première étude randomisée dans ce contexte. Cette étude internationale à laquelle des centres français et Unicancer ont participé, permet de mettre en évidence des options thérapeutiques en s’appuyant sur un essai randomisé. Cela chamboule un peu l’idée qu’il n’est pas possible de faire des essais randomisés dans des pathologies rares. Cela nous encourage à poursuivre les efforts de collaborations internationales », indique le Pr Blay.
Des nouvelles thérapeutiques ciblées
Concernant les résultats à propos de nouvelles thérapeutiques ciblées, c’est en premier lieu une étude internationale de thérapeutique « tissu-agnostique » [inhibiteur actif sur les tumeurs indépendamment du type histologique], qui a attiré l’attention du Pr Jean-Yves Blay. Il s’agit de l’étude RAGNAR dont les résultats intermédiaires seront présentés par le Dr Yohann Loriot (Gustave Roussy, Villejuif)[4]. Cette étude internationale a évalué l’efficacité et la tolérance de la thérapie ciblée erdafitinib – un médicament qui est déjà enregistré pour les cancers de la vessie porteurs de mutations FGFR2 ou FGFR3. Ce dernier cible les mutations génétiques FGFR (1,2,3 et 4) d’une quinzaine de tumeurs rares et de cancers agressifs.
« Le message est que cette activité est retrouvée dans tous les sous-types tumoraux, avec des taux de réponse qui se situent aux alentours de 20% selon les tumeurs, un taux de contrôle élevé, une durée de réponse de l’ordre 7 mois. Bref, un signal d’activité trans-tumeur qui rajoute une autre composante à cette stratégie thérapeutique agnostique qui je pense va être une des règles de la cancérologie dans les années à venir », a souligné le Pr Blay.
Une autre innovation thérapeutique mise en avant par le Directeur Général du Centre Léon-Bérard est l’enasidenib, qui cible les mutations IDH2-R140 et IDH2-R17. D’après les résultats de l’essai de phase 3 IDHENTIFY, la molécule est intéressante dans les tumeurs hématologiques, notamment le leucémies aigues myéloblastiques[5]. Elle améliore la survie globale par rapport à un régime de soins conventionnels. « Il y a un signal d’activité important en complément des traitements antérieurs pour des pathologies traditionnellement très difficiles à traiter », commente le Pr Blay.
« De nombreuses immunothérapies arrivent » et ont fait l’objet de plusieurs sessions à l’ASCO, a souligné le Pr Blay qui a mentionné notamment les résultats d’une mise à jour de l’essai LAG-3 dans le mélanome[6]. « Les données montrent que la combinaison anti-PD1 et anti-LAG-3, une deuxième génération d’inhibiteurs de point de contrôle, améliore la survie ».
Coup de cœur aussi pour une étude de phase 1 évaluant un super agoniste ciblant à la fois le récepteur de l’IL2 et de l’IL15 qui, donné en combinaison avec le pembrolizumab semble intéressant y compris pour des tumeurs reconnues comme réfractaires à l’immunothérapie. « C’est une nouvelle piste intéressante à un moment où les IL2 modifiés ont connu un petit coup d’arrêt avec des études qui se sont avérées plutôt négatives », indique-t-il.
Des progrès aussi en ce qui concerne les anticorps bispécifiques. La Dr Laurence Albigès va présenter les résultats préliminaires de FTIH, une étude internationale de phase I évaluant l’activité et la sécurité de MEDI5752, un anticorps monovalent bispécifique anti PD1 et CTL4[7]. Les résultats montrent un bénéfice dans les tumeurs solides avancées et en particulier dans les carcinomes des cellules rénales avancés. « Dans les cancers du reins métastatiques, c’est indiscutablement une nouvelle approche, qui devrait aussi être plus simple à utiliser en pratique ». « La toxicité reste acceptable. Peut-être, même un peu moins importante que celle associés à la combinaison des deux immunothérapies traditionnellement autorisées anti-PD1 et anti-CTLA4, même si ici, il n’y a pas eu de comparaison directe », ajoute le Pr Blay.
Place à la désescalade thérapeutique
Une autre étude de phase 3 considérée comme importante pour la pratique par Jean-Yves Blay est l’étude GERICO 11 / ASTER 70s qui a comparé chez les patientes de plus de 70 ans atteintes d’un cancer du sein avec un index génomique élevé (risque de rechute élevé) : un traitement par chimiothérapie et thérapeutique endocrine ou un schéma par thérapeutique endocrine seule[8].
« Pour les patientes de plus de 70 ans, les effets secondaires de la chimiothérapie sont assez significatifs et dépendent de la fragilité de la patiente. Cette étude conclut que l’impact de la chimiothérapie additionnelle dans ce contexte, en situation adjuvante, ne permet pas d’améliorer de manière significative le devenir des patientes. Cette étude est importante car elle s’inscrit dans les tendances actuelles de désescalade thérapeutique », souligne-t-il.
Autre exemple d’étude intéressante pour optimiser la prise en charge des patients, l’étude pédiatrique SACHA qui sera présentée par le Pr Gilles Vassal(Gustave Roussy, Villejuif). Son objectif : collecter de manière prospective les données d’efficacité et de tolérance des thérapeutiques innovantes prescrites dans le cadre d’un accès compassionnel ou hors autorisation de mise sur le marché (AMM) chez des enfants ou adolescents atteints de cancers en rechute ou réfractaires aux traitements[9]. « Une approche très rationnelle », commente le Pr Blay.
Enfin, la dernière étude mentionnée par Jean-Yves Blay soulève la question de l’accès aux thérapeutiques innovantes pour tous.
Seul bémol, le nombre de patients à qui on peut proposer des traitements reste inférieur à 30% en l’état actuel. « Il y a plusieurs raisons. La taille des panels qui pourrait encore s’agrandir, évoluer. Mais aussi, certains médicaments ne sont pas accessibles à tous les patients sur le territoire, soit parce qu’ils ne sont pas remboursés, soit parce qu’ils ne sont pas accessibles dans les essais cliniques. Cela nous interroge, à un moment où la cancérologie évolue plus que jamais, sur la façon dont on peut mettre à disposition des patients des médicaments qui ont des signaux d’activité très tôt, dès les phases 1. C’est un enjeu, je pense pour notre système de santé », a conclu le Pr Blay.
Cet article a été écrit par Aude Lecrubier et initialement publié sur le site Medscape, membre du réseau Univadis.
Malheureusement, l’accès à l’intégralité de cet article est reservé uniquement aux professionnels de santé disposant d’un compte.
Vous avez atteint la limite d'articles par visiteur
Inscription gratuite Disponible uniquement pour les professionnels de santé