AFSOS 2022 – Point d’étape sur l’expérimentation du cannabis médical

  • Caroline Guignot
  • Actualités Congrès
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L’expérimentation du cannabis médical a été envisagée en France pour faire face à l’absence d’essais sur son bénéfice clinique, l’importance des données observationnelles évoquant une efficacité potentielle du cannabis dans différentes situations cliniques en impasse thérapeutique, ainsi que face aux fortes demandes et implications des associations de patients sur le sujet. Les objectifs de cette expérimentation initiée en 2021 étaient doubles : évaluer la faisabilité de la mise à disposition auprès des patients et recueillir les premières données sur l’utilisation médicale chez des patients français, afin d’envisager une généralisation secondaire.

Pour mémoire, l’expérimentation du cannabis à usage médical recouvre cinq situations cliniques dans lesquelles les traitements disponibles sont insuffisamment efficaces ou mal tolérés, en association ou en remplacement d’autres thérapeutiques : douleurs neuropathiques réfractaires aux thérapies accessibles, certaines formes d’épilepsie sévères et pharmaco-résistantes, certains symptômes rebelles en oncologie liés au cancer ou à ses traitements, situations palliatives, spasticité douloureuse de la sclérose en plaques ou des autres pathologies du système nerveux central. Le protocole prévoit d’abord de commencer par le cannabinediol (CBD) et de passer au tétrahydrocannabinol (THC) si besoin (notamment pour les douleurs).

Au 19 octobre 2022, 2.125 patients ont été inclus dans l’expérimentation depuis son initiation, avec 1.429 d’entre eux actuellement traités. Parmi eux, la moitié souffrent de douleurs neuropathiques réfractaires constituant la moitié de l’effectif, et 216 présentant une spasticité douloureuse liée à la SEP (n=216). Les patients ayant des symptômes rebelles en oncologie ou étant en situation palliative sont respectivement 98 et 109.

Sur le plan de l’implication des professionnels, beaucoup de médecins de centres de référence, de médecins hospitaliers, ou encore des pharmaciens sont très impliqués (302 structures de référence et 164 Pharmacies à Usage Intérieur actuellement), mais le relais en médecine de ville implique encore peu de médecins généralistes.

Évaluation à 1 an : Une tolérance attendue

Une évaluation clinique a été conduite par un prestataire extérieur sur la faisabilité, la pharmacovigilance et d'addictovigilance. Le profil de sécurité dressé concernant la pharmacovigilance est celui attendu et est globalement satisfaisant, sachant que tous les évènements devaient être systématiquement rapportés  dans le cadre de cette expérimentation : jusqu’à présent, 592 patients ont présenté des effets indésirables dont 6% des effets indésirables graves. Les évènements indésirables les plus fréquemment rapportés étaient des affections du système nerveux central (comme la somnolence), des affections gastro-intestinales (comme des diarrhées, souvent dues à la formulation huileuse) et des affections psychiatriques (à type d’anxiété principalement). Il faut noter qu’en revanche, qu’aucun abus, addiction, détournement, ordonnance fausses ou modifiées, d’augmentation de la dose…n’a été déclaré.

Efficacité : le cannabis redonne le contrôle aux patients 

Sur le plan de l’efficacité, l'évaluation a été menée auprès de 1.450 patients suivis durant 1 an, dont 1.036 étaient toujours en cours de traitement. Parmi eux, 52% de femmes et un âge moyen de 51 ans (dont 76 mineurs traités pour épilepsie). En moyenne, la durée de suivi de l’expérimentation était de 5,5 mois.

Parmi les patients ayant des douleurs neuropathiques (n=739, score moyen de sévérité DN4>7 pour 98% d’entre eux). Le score sur l'échelle visuelle analogique EQ5D a été amélioré de 30% entre à l’initiation (M0) et au 6e mois (M6) avec surtout une amélioration marquée au 3e mois (M3). De plus, le taux de déclaration de douleurs fortes ou insupportables est passé de 81% à M0 à 30% à M3.

Dans le cancer (n=101, score moyen de sévérité DN4>7 pour 78% d’entre eux), le score EQ5D a été amélioré de 16% entre M0 et M3. De plus, le taux de déclaration de douleurs fortes ou insupportables est passé de 55% à M0 à 45% à M3, avec un bénéfice sur le score de dépression. La crainte d’interactions médicamenteuses avec les anticancéreux a été explorée par l’ANSM (agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) qui a publié une liste des médicaments concernés : en pratique, ces interactions concernent surtout le CBD et très peu le THC.

Enfin dans les situations palliatives (n=150), le cannabis médical améliorerait la qualité de vie de 42% entre M0 et M6. Nathalie Richard, directrice du projet Cannabis médical de l’ANSM agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé a expliqué : « On voit que ce n’est pas un traitement miracle, et ce n’était pas ce qui était attendu, mais c’est encourageant étant donné le profil de ces personnes, dont les symptômes intenses sont réfractaires aux autres thérapeutiques. Les patients rapportent que les douleurs ne sont plus aussi envahissantes dans leur quotidien ». Le cannabis serait ainsi un bon co-antalgique. Il offrirait aussi un bénéfice plus large, sur l’anxiété, le sommeil... « Ce bénéfice global redonne le contrôle aux patients qui ne sont plus totalement polarisés par la douleur ».

En septembre dernier, le gouvernement a annoncé la prolongation de l’expérimentation durant une année supplémentaire. Il n’y a donc pas de généralisation envisagée pour 2023. D’ici là, la création de la filière de production du cannabis médical, les conditions de prescription et de délivrance, les caractéristiques de composition et de qualité devront être définies.