Épigénétique, satiété et marqueurs prédictifs de l’obésité

  • Carla Martínez Nieto
  • Actualités Médicales
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MADRID — Les taux d’obésité et la prévalence croissante des maladies métaboliques amènent les spécialistes à rechercher des outils permettant un meilleur diagnostic. Ils suggèrent également la nécessité de développer des stratégies thérapeutiques personnalisées. À cette fin, les investigateurs se sont concentrés sur l’identification des marqueurs prédictifs qui mettent en lumière les mécanismes de l’obésité, le risque de complications associées et la réponse à une intervention alimentaire ou à une chirurgie bariatrique.

Deux sessions organisées lors du XVIIIe congrès national de la Société espagnole de lutte contre l’obésité en 2022 ont permis de présenter des analyses et de faire le point sur la recherche dans ce domaine.

Lors de la présentation intitulée « Les bases épigénétiques de l’obésité », la Dre Ana Belén Crujeiras, du département Épigénomique de l’Institut de recherche en santé Saint-Jacques (IDIS)/du complexe hospitalier universitaire de Saint-Jacques-de-Compostelle, a présenté les données probantes les plus récentes sur l’existence d’un lien entre l’épigénétique et l’obésité ainsi que les maladies qui y sont associées. Elle a indiqué que l’étude des marqueurs épigénétiques est une voie de recherche qui suscite des attentes optimistes.

« Nous sommes tous exposés à un environnement obésogène résultant de la consommation d’aliments ultra-transformés et de fast-food, d’un sédentarisme important et d’une contamination environnementale par des perturbateurs endocriniens. L’obésité ne touche cependant pas toute la population. Il y a en fait des personnes qui résistent à cet effet de l’environnement obésogène, tandis qu’un autre groupe, dans une plus large mesure, est susceptible d’en souffrir. »

La Dre Crujeiras a déclaré que chez les patients atteints d’obésité, les réponses aux stratégies de traitement actuelles (restriction calorique, activité physique, chirurgie bariatrique et médicaments) sont variables. Certains réagissent bien, d’autres résistent à la perte de poids. En outre, le suivi des personnes répondant au traitement après 12 à 24 mois révèle également une réponse variable. Certaines personnes maintiennent leur perte de poids alors que d’autres reprennent du poids.

« Nous sommes donc confrontés à trois groupes de patients en ce qui concerne l’efficacité des interventions visant à traiter cette maladie : les individus prédisposés à l’obésité, ceux qui résistent à la perte de poids et ceux qui ont tendance à reprendre le poids perdu. Ces groupes représentent le plus grand défi dans le cadre de la lutte contre l’obésité. »

Le phénotype économe

La Dre Crujeiras a souligné que plus de 600 gènes sont associés à l’obésité. Les données probantes montrent que la génétique explique à elle seule 20 à 30 % de la variabilité de la réponse au traitement et de la susceptibilité à l’obésité. Le reste de la variabilité (70 %) est dû au mode de vie (40 %), à l’environnement socioculturel (15 %), aux soins de santé (10 %) et à l’environnement physique, en particulier la température à laquelle nous sommes exposés (5 %).

Le rôle de l’épigénétique a révélé là où ses mécanismes font la liaison entre l’environnement et la génétique. « Les données probantes actuelles indiquent l’existence de mécanismes épigénétiques liés à l’obésité, mais nous ne savons pas très bien si c’est l’obésité qui induit ces marqueurs épigénétiques ou si ce sont les marqueurs épigénétiques qui prédéterminent la maladie », a déclaré la Dre Crujeiras. « Nous savons toutefois que ces marqueurs épigénétiques sont liés aux maladies associées à l’obésité, telles que le syndrome métabolique, le diabète et même le cancer. En outre, les caractéristiques de réversibilité des mécanismes épigénétiques en font des objectifs thérapeutiques très prometteurs. »

La Dre Crujeiras a partagé les résultats des études du groupe de recherche sur l’épigénomique en endocrinologie et en nutrition de l’IDIS, qu’elle dirige. Les études ont permis d’identifier une signature épigénétique du tissu adipeux obèse qui se reflète dans les leucocytes du sang périphérique et soutient ce que les spécialistes ont appelé l’hypothèse du phénotype économe.

« En appliquant les données probantes issues de l’épigénétique aux trois groupes de patients que nous avons mentionnés précédemment, à savoir la prédisposition à l’obésité, la difficulté à perdre du poids et la reprise de poids, nous avons établi l’hypothèse du phénotype économe, lequel serait conditionné par la mémoire épigénétique induite par les facteurs environnementaux et l’hérédité transgénérationnelle », a déclaré la Dre Crujeiras. « Disposer de ces marqueurs épigénétiques (des biomarqueurs par exemple) qui nous aident à détecter les individus présentant ce phénotype permettrait de mettre en place des traitements dans le cadre d’une médecine personnalisée. De tels traitements cibleraient les marqueurs épigénétiques qui prédéterminent ce phénotype économe. »

Optimiser la réversibilité épigénétique

Les études de la Dre Crujeiras et de ses collègues ont également suggéré qu’en utilisant une stratégie nutritionnelle basée sur un régime cétogène très faible en calories, le profil de ces marqueurs épigénétiques de l’obésité est renversé et se rapproche davantage du profil d’individus sains de poids normal.

« De plus, il a été démontré que l’activité physique renverse le méthylome associé à l’obésité, ce qui, dans le même temps, est lié aux bénéfices métaboliques induits par l’activité physique », a-t-elle déclaré. « La chirurgie bariatrique est également capable de renverser le méthylome associé à l’obésité. Et, tout comme avec le régime cétogène très faible en calories, nous avons constaté que le régime méditerranéen est associé à des modifications de la méthylation de certains gènes. Par ailleurs, l’effet bénéfique du régime Atlantique est également étudié de la même manière. »

La Dre Crujeiras a souligné que toutes ces études ont conduit à l’identification de biomarqueurs qui, conjointement avec la génomique, la métabolomique et l’étude de l’exposome, aident à stratifier les patients et à établir un traitement plus précis et personnalisé de l’obésité. Ce traitement est basé sur la nutrition, les habitudes de vie, la prise de compléments avec des composés bioactifs qui modèrent les marqueurs épigénétiques et, dans les cas les plus extrêmes, certains médicaments épigénétiques.

Reprise de poids

La complexité du maintien de la perte de poids dans le temps et de la prévention de la reprise de poids ou de l’« effet rebond » pour les patients et les spécialistes a été abordée lors de la session intitulée « Jouons-nous à prévoir l’avenir ? ». Il y a été débattu des marqueurs prédictifs.

Mónica Bulló, titulaire d’un doctorat et conférencière sur la nutrition et le métabolisme à l’Université Rovira i Virgili (Tarragone), a fait le commentaire suivant : « Il est facile de perdre du poids, et nous disposons de stratégies pour y parvenir. Ce qui est vraiment compliqué, c’est de maintenir cette perte de poids à long terme. Pour moi, le grand problème est de savoir comment définir le « long terme ». Cela fait plus de 20 ans que l’on entend dire qu’une perte de poids comprise entre 5 et 10 % du poids corporel et maintenue pendant 1 an est une bonne option, mais nous devons réviser ce critère et préconiser une perte de poids maintenue dans le temps.

« En ce qui concerne les stratégies actuellement utilisées pour appréhender l’obésité, la réalité démontre que s’il existe une formule gagnante pour perdre du poids à long terme, c’est bien la chirurgie bariatrique. Les études montrent qu’environ 50 à 70 % des patients maintiennent leur perte de poids après 10 ans. Il faut cependant tenir compte d’aspects tels que le taux de réopération, qui n’est pas négligeable. Par conséquent, la chirurgie bariatrique est une bonne option, mais elle n’est pas indiquée chez tous les patients, et nous ne devons pas oublier que nous traitons une maladie communautaire », a déclaré M. Bulló.

« D’autre part, les études sur l’intervention alimentaire et sur le mode de vie démontrent qu’au final, tous les patients reprennent le poids perdu après deux ans ou plus. Ces stratégies ont tendance à prendre un caractère chronique et, d’une certaine manière, elles vont à l’encontre des changements physiologiques qui se produisent dans l’organisme », a-t-elle ajouté.

Des études portant sur de grandes cohortes de patients suggèrent qu’une perte de poids plus importante au début du traitement et un rythme de perte de poids régulier permettent de prédire un meilleur maintien de la perte de poids sur de plus longues périodes. « Nous savons également que les personnes qui ont pu maintenir ce poids pendant deux ans ont un meilleur pronostic à long terme », a déclaré M. Bulló.

La satiété est un élément clé

M. Bulló a expliqué que les adaptations métaboliques qui sous-tendent la réponse à une intervention de perte de poids ne sont pas précisément connues, bien que les études métabolomiques aient pu fournir de bonnes stratégies pour déterminer les probabilités de succès ou d’échec d’une intervention.

« Par conséquent, certains aspects tels que la régulation de l’appétit et la satiété sont considérés comme une stratégie de compensation. Il semble que les sujets qui présentent cet effet rebond aient une plus grande résistance à la sensation de satiété. Par conséquent, l’effort qu’ils doivent fournir pour perdre du poids est encore plus important, ce qui les culpabilise davantage. Elle favorise également le découragement, et le risque de dépression ou d’anxiété augmente » a ajouté M. Bulló.

Le groupe de recherche sur la nutrition et la santé métabolique de l’Institut de recherche en santé Pere i Virgili, où M. Bulló est chercheuse principale, est à la recherche de métabolites qui pourraient prédire une plus grande réponse de satiété après les repas. « Nous avons identifié deux métabolites dont les taux circulants sont associés à la satiété chez les personnes en surcharge pondérale, mais ces résultats doivent être vérifiés. Les études sur les métabolites et le microbiote intestinal permettent d’obtenir des marqueurs ayant une certaine capacité prédictive, mais les résultats ne sont pas encore concluants. »

M. Bulló a souligné la nécessité d’indicateurs objectifs pour prédire le succès, l’échec et le maintien de la perte de poids. « Nous devons savoir ce qui conduit à la reprise du poids corporel, d’où l’intérêt de rechercher de nouveaux marqueurs qui pourraient déterminer avec une plus grande précision non seulement les sujets présentant un risque plus élevé de développer une obésité, mais aussi l’orientation concernant les résultats attendus de certaines stratégies de traitement et la prédiction de l’effet rebond. En ce sens, les omiques peuvent être un outil utile pour discriminer les individus ayant une meilleure ou une moins bonne réponse dans le contrôle du poids corporel. »

M. Bulló a souligné le caractère complexe et chronique de l’obésité « et, par conséquent, la nécessité d’une approche qui soit elle aussi complexe et chronique. Une prise en charge globale favorise le succès des interventions visant à contrôler le poids corporel. Par conséquent, l’intégration des données suppose une nouvelle frontière pour la médecine de précision dans l’obésité. »

A. Crujeiras et M. Bulló n’ont déclaré aucune relation financière pertinente.

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Cet article a été traduit à partir de l’édition espagnole de Medscape.

Cet article a initialement été publié sur medscape.com.